Niger: menaces immédiates et urgentes pesant sur l’espace civique du pays.

Niger: menaces immédiates et urgentes pesant sur l'espace civique du pays.

L’année 2020 est importante sur le plan électoral pour les pays francophone de l’Afrique de l’Ouest en raison des élections présidentielles au Togo (février 2020), en Guinée (octobre 2020), en Côte d’Ivoire (octobre 2020), au Burkina Faso (novembre 2020), au Niger (décembre 2020-janvier 2021) et au Bénin (avril 2021).

L’espace civique du Niger est classé comme «obstrué» par le CIVICUS Monitor et a été inclus dans la liste de surveillance du CIVICUS Monitor en juin 2020 en raison de menaces immédiates et urgentes pesant sur l’espace civique du pays. Principales violations de l’espace civique:

  • Adoption de lois répressives, dont la loi de 2020 sur l’interception des messages électroniques (2020).
  • Utilisation de la Loi de2019 sur la lutte contre la cybercriminalité contre les militants et les journalistes.
  • Harcèlement judiciaire et poursuite des défenseurs des droits humains, notamment des journalistes.
  • Interdiction systématique des manifestations de la société civile, usage excessif de la force et arrestation de manifestants pacifiques.

Contexte politique

Le Niger connaîtra trois élections d’ici la fin de l’année. Les élections locales, reportées depuis 2015, les législatives et présidentielles sont prévues en en décembre2020.

Les tensions politiques sont vives: les groupes d’opposition refusent de siéger à la Commission nationale indépendante d’éligibilité et organisent des manifestations de masse contre le nouveau Code électoral adopté en juin 2019 lors d’une session parlementaire qu’ils ont boycottée. Les groupes d’opposition considèrent que le code n’était pas «consensuel» et qu’il a été conçu pour empêcher au chef de l’opposition Hama Amadou de se présenter en 2020. Il est arrivé deuxième à l’élection présidentielle de 2016.Au Niger, la situation humanitaire et en matière de sécurité est marquée par des affrontements entre les groupes armés,dont Boko Haram, et les forces de sécurité, ainsi que par les violations des droits humains commises par les deux parties sur les civils.

L’ONU estime que 500 civils ont été tués ou enlevés au Niger en 2019 et que 2,9 millions de personnes, soit une personne sur dix au Niger, auraient besoin d’une aide humanitaire en 2020. La région de Diffa est sous l’état d’urgence depuis 2015 et les régions de Tillabery et Tahoua depuis 2017, une situation offrant des pouvoirs extraordinaires aux forces de sécurité.

Menaces pour l’espace civique

Les défenseurs des droits humains au Niger ont exprimé des inquiétudes concernant la réduction de l’espace civique en raison de l’adoption de lois répressives, de l’interdiction des manifestations, des arrestations de manifestants et de personnes ayant exprimé leur désaccord, et des difficultés d’inscription rencontrées par les organisations.

Liberté d’expression

Depuis 2019 le Niger a adopté une législation qui restreint la liberté d’expression sur Internet. La Loi sur la répression de la cybercriminalité, adoptée en juin 2019, criminalise la «diffamation, les injures et la diffusion d’informations susceptibles de porter atteinte à l’ordre public et à la dignité humaine» et prévoit des peines de prison allant jusqu’à trois ans et des amendes pouvant aller jusqu’à cinq millions de francs CFA (environ 9000 USD).

Le 29 mai 2020, l’Assemblée nationale a adopté une loi sur l’interception des messages électroniques qui menace le droit à la vie privée. Ce texte prévoit que les demandes d’interception de communications soient autorisées par le Président de la République, sans qu’il y ait un contrôle judiciaire.

Il institue une Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité qui manque d’indépendance six de ses huit membres sont désignés par l’exécutif et dont les décisions ne sont pas juridiquement contraignantes. Les défenseurs des droits humains ont exprimé leur inquiétude quant la loi de 2019 sur la cybercriminalité, car elle est utilisée contre des militants.

Selon Amnesty International, depuis mars 2020 au moins onze personnes ont été arrêtées de manière arbitraire en vertu de cette loi pour «diffusion d’informations susceptibles de porter atteinte à l’ordre public et à la dignité humaine». Samira Sabou, journaliste et présidente de l’Association des blogueurs pour la citoyenneté active, a été arrêtée le 10 juin 2020 et accusée de «diffamation par un moyen de communication électronique» en raison d’une publication sur Facebook concernant un cas de détournement de fonds au ministère de la Défense. Elle a été acquittée le 28 juillet 2020 après avoir passé 48 jours en détention.

Le 12 juillet 2020 la police judiciaire a convoqué le journaliste du Courrier Ali Soumana pour l’interroger. On l’accuse d’avoir «écrit et diffusé de fausses informations» pour une publication Facebook où il avait indiqué que, selon ses sources, les sociétés impliquées dans le détournement de fonds dans l’achat de matériel militaire seraient en train de négocier des remboursements afin d’éviter des poursuites judiciaires. Soumana, qui a été victime de harcèlement judiciaire à plusieurs reprises dans le passé, a été détenu pendant deux jours avant d’être présenté devant un juge et d’être remis en liberté provisoire.

Amina Maiga a été arrêtée le 29 avril 2020 à Niamey en raison d’une conversation WhatsApp où elle a mis en question la réponse des autorités à la pandémie de COVID-19. Le 7 mai 2020, un tribunal l’a condamnée à trois mois de prison avec sursis.

Le 9 avril 2020, le coordinateur national du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB), Ali Idrissa, a été convoqué à un poste de police et a été arrêté suite à une plainte déposée contre lui par l’ancien chef d’état-major de l’armée. Il a été accusé de diffamation et de diffusion d’informations susceptibles de porter atteinte à l’ordre public en vertu de la loi sur la cybercriminalité dans le cadre d’un scandale de corruption impliquant le ministère de la Défense. Il a été libéré sous caution le 14 avril.

Le 5 mars 2020, le journaliste Kaka Touda Mamane Goni a été arrêté à Niamey après avoir publié sur Facebook et Twitte des informations sur un possible cas de COVID-19 à l’hôpital de Niamey. Le 26 mars, un tribunal de Niamey l’a condamné à trois mois de prison avec sursis pour «diffusion d’informations susceptibles de porter atteinte à l’ordre public».

Liberté de réunion pacifique

Les autorités nigériennes continuent de réprimer les mobilisations pacifiques, notamment en interdisant les manifestations et en arrêtant les manifestants. Les forces de sécurité recourent fréquemment à un usage excessif de la force, entraînant des blessures et la mort lors des manifestations.188Au Niger les manifestations pacifiques convoquées par les organisations de la société civile sont interdites presque systématiquement.

Le mouvement pro-démocratie Tournons la page Niger (TLP Niger) a documenté l’interdiction d’au moins 24 manifestations de la société civile à Niamey, Zinder, Dosso et Tahoua entre mars 2018 et mars 2020, souvent pour des motifs vagues, tels qu’«atteinte à l’ordre public». Les autorités ont communiqué leurs décisions peu de temps en avance, parfois moins d’un jour avant la manifestation, entamant ainsi la capacité des organisateurs de contester l’interdiction devant un tribunal.

Depuis 2017, des dizaines de manifestants, notamment des militants de la société civile, ont été arrêtés et ont essuyé un usage excessif de la force dans le cadre de manifestations. Le 15 mars 2020, TLP Niger a organisé une manifestation contre des actes de corruption présumés dans l’achat de matériel militaire. Comme l’exige la loi, Ils ont informé les autorités locales mais n’ont pas obtenu de réponse. Les forces de sécurité ont été déployées le jour de la manifestation afin d’empêcher les rassemblements et elles ont utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants.

La police a arrêté quinze personnes, dont huit dirigeants d’organisations de la société civile telles qu’Alternative espaces citoyens et TLP Niger. Ils ont été accusés d’organisation d’une manifestation interdite, complicité dans la destruction de biens publics, incendie volontaire et homicide involontaire. Depuis mars, cinq des militants de la société civile ont été libérés sous caution. Les militants -Halidou Mounkaila, Moundi Moussa et Maikoul Zodi sont restés sous détention pendant plus de six mois jusqu’à leur remise en liberté sous caution les 29 et 30 septembre 2020. Ils font toujours face à des accusations.

Tous les trois ont été détenus dans des prisons différentes, à plus de 100 km de leurs proches et de leurs avocats. Entre mars et avril 2018 les forces de sécurité ont arrêté au moins 26 personnes, dont dix dirigeants d’organisations de la société civile dans le cadre de manifestations contre la Loi de finances 2018. Si certains militants ont été libérés au bout de trois mois, d’autres sont restés détenus pendant plus d’un an.

Le 24 juillet 2018, Ali Idrissa du ROTAB, Moussa Tchangari d’Alternative espaces citoyenset Nouhou Arzika, président du Mouvement pour la promotion d’une citoyenneté responsable, ont été condamnés à trois mois de prison avec sursis pour avoir organisé un «rassemblement illégal». Ils ont été libérés le même jour. Ibrahim Diori, membre d’Alternative espaces Citoyens, Maikoul Zodi, coordinateur de TLP Niger, et Karim Tanko, président de l’Union des jeunes pour la protection de la démocratie et les droits de l’homme ont été libérés le 5 octobre 2018, après avoir été relaxé des accusations d’«organisation et participation à une manifestation interdite» et de «destruction de biens publics».

Le 6 décembre 2018, Yahaya Badamassi, membre d’Alternative espaces citoyens, a été libéré après avoir été acquitté des accusations d’«organisation et participation à une manifestation interdite», «destruction de biens publics», «participation à un mouvement insurrectionnel» et «conspiration contre la sûreté de l’État».

Le 23 juillet 2019, l’avocat et militant des droits humains, Lirwana Abdourahamane, a été libéré après avoir purgé un an de prison. Il avait été condamné à 24 mois de prison, dont douze avec sursis le 23 juillet 2018 pour outrage à magistrat.194Sadat Illiya Dan Malam, membre du Mouvement patriotique pour une citoyenneté responsable, a été libéré le 20 novembre 2019 après avoir purgé plus de 19 mois de prison. Au départ il a été accusé de «participation à un mouvement insurrectionnel» et de «conspiration contre la sûreté de l’État», mais plus tard le tribunal a requalifié ces accusations en «outrage contre des membres du PNDS Tarayya» (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme) et a ordonné sa libération en mai 2019. Cependant, le procureur a fait appel de la décision et Sadat Illiya Dan Malam restera en détention jusqu’à que la cour d’appel rend sa décision en novembre.

Liberté d’association

Les défenseurs des droits humains ont exprimé leur inquiétude quant à l’ingérence des autorités dans les activités des associations au moyen du report ou de la suspension arbitraire de leur inscription notamment.

En mars 2020 les autorités ont informé les défenseurs des droits humains et leurs partenaires financiers et techniques de leur intention de réviser la loi sur les associations.197L’Association des blogueurs pour une citoyenneté active a déposés a demande d’inscription en janvier 2019 auprès des autorités administratives de Niamey. Elle a reçu un récépissé temporaire lui permettant de mener ses activités. Cependant, courant juin 2020 l’association n’avait toujours pas obtenu une autorisation formelle du ministère de l’Intérieur, un document qui faciliterait son accès aux financements étrangers, par exemple.

En décembre 2019, quatre membres de l’association, dont sa présidente Samira Sabou, ont été convoqués par la Direction de la surveillance du territoire dans le cadre de la création de l’association. Ils ont été interrogés sur leur appartenance politique, l’état matrimonial de leurs parents et leurs publications Facebook, même si le cadre juridique de l’association ne stipule pas la nécessité de telles enquêtes.

Le 30 octobre 2017, le ministre de l’Intérieur a publié un décret interdisant de fonctionnement sur tout le territoire national l’Association de défense des droits des consommateurs des technologies, de l’information, de la communication et de l’énergie (ACTICE). L’association s’est exprimée ouvertement contre le projet de Loi de finances de 2018 et a organisé une manifestation le 29 octobre 2017 pour dénoncer qu’il s’agissait d’un projet de loi «antisocial». Abass Abdoul Aziz Tanko, Abdoulaye Harouna et Djibo Issa, tous membres d’ACTICE, ont été arrêtés et accusés de «participation à une manifestation non autorisée et à un rassemblement armé». Ils ont été acquittés le 24 novembre 2017, mais l’interdiction pesant sur l’association n’a jamais été levée.

Opportunités pour la réalisation de revendications

Le Comité des droits de l’homme a passé en revue le Niger en 2019 et a donné la priorité à une recommandation sur les libertés d’expression et de réunion, ainsi qu’à la protection des journalistes et des défenseurs des droits humains. Un suivi concernant ces recommandations a été prévu pour mars 2021.

Dans le cadre de la procédure de suivi, les groupes de la société civile ont la possibilité de faire des propositions au Comité des droits de l’homme.

Le prochain Examen Périodique Universel (EPU) du Niger est prévu pour avril/ mai 2021. Le processus de l’EPU offre de multiples opportunités aux organisations de la société civile pour entreprendre des activités revendicatives auprès des autorités du Niger, des États membres de l’ONU et des mécanismes de l’ONU.

Premièrement, les organisations de la société civile peuvent déposer leurs propositions auprès du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) jusqu’au 15 octobre 2020 afin qu’elles soient incluses dans le Résumé des contributions des parties prenantes.

Les organisations de la société civile peuvent présenter leurs rapports aux autorités nigériennes, aux États membres des Nations Unies et aux mécanismes des Nations Unies avant l’examen, notamment lors des pré-sessions de l’EPU.

Suite à cet examen, les organisations de la société civile pourront engager un dialogue avec les autorités nigériennes et les États membres de l’ONU sur les recommandations formulées et suivre leur mise en œuvre.

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